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Commencer un film : BLUE VELVET - David Lynch (1986)

 

La scène d’ouverture de BLUE VELVET, David Lynch (1986)

Visible ici :

http://www.dailymotion.com/video/x88217_blue-velvet-1_music

En guère plus de 3 minutes, Lynch résume son esthétique en l’un de ses thèmes de prédilection : la plongée au-delà/en-deça des apparences.

Le générique représente un lourd rideau de velours bleu (traduction de blue velvet) sur lequel viennent s’inscrire les incrustations du générique. C’est en très gros plan qu’est filmé le mystérieux rideau, comme il est de règle chez David Lynch, ce qui le charge de reflets mystérieux.

Vient alors un segment de quatre vignettes, qui constitue une bien étrange composition : un ciel extraordinairement bleu et clair laisse, peu à peu, place à un parterre de roses écarlates rouge contrastant violemment avec des piquets, plantés bien haut, d’un blanc immaculé. On enchaîne alors sur un camion de pompiers, rouge pimpant, roulant tranquillement (au ralenti) et dont un des occupants accroché à une échelle prend le temps de faire signe au spectateur / caméra. De nouveau, nous retrouvons les mêmes piquets blancs, mais cette fois ce sont des jonquilles jaunes qui s’agitent au gré du vent (au ralenti) à un passage protégé.

A première vue, la séquence d’ouverture trace en quelques plans le portrait tranquille d’une petite communauté des U.S.A, archétype des souvenirs d’enfance (d’ailleurs les plans sont en contre-plongée, comme une vision d’enfant). Mais ces images sont suspectes... car plastiquement irréelles.

Soit la séquence est vue par un oeil halluciné, soit c’est un avertissement. Ce paysage idyllique n’est que le paravent d’un monde parallèle. Bientôt la caméra s’enfoncera dans le gazon pour faire découvrir en très gros plan une armada d’affreux insectes, jusqu’alors invisibles -mais pourtant présents.

La mise à mort est orchestrée comme un thriller, en jouant sur les rythmes de montage (plans de plus en plus rapides), le hors-champ. Ainsi, l’idée de mort est annoncée par le plan du téléviseur qui diffuse un film où un pistolet en gros plan, tenu par une main gantée anonyme, avance dans le cadre TV qui se confond avec l’image/cadre cinéma. Nous raccordons avec M. Beaumont (le père) qui arrose son jardin, puis nous retrouvons le pistolet décrit plus haut sous la forme transfigurée d’un robinet de jardin en très gros plan (mais l’analogie visuelle est marquante) qui est d’autant plus inquiétant qu’il produit un bruit sourd. Puis ce sera une alternance de trois plans ("robinet-pistolet" / Beaumont / tuyau d’arrosage) jusqu’au moment où l’arroseur est "frappé" par son attaque cérébrale. Tout laisse croire que c’est le robinet qui a touché le père, vu le combat que se livraient M. Beaumont et le tuyau d’arrosage empêtré dans les rosiers.

Lynch profite alors de notre surprise pour nous entraîner vers un autre voyage à travers une forêt quasi-amazonienne de brins d’herbe : l’infiniment petit se transforme en infiniment grand. De même, les cancrelats apparaissent comme de gigantesques et immondes monstres qui semblent se livrer à quelque festin suggéré par la bande-son des plus inintelligibles. Là encore, un différent point de vue de la caméra révèle quelque chose de caché.

La caméra "terroriste" de Lynch maltraite le spectateur, lui impose des points de vue inhabituels, joue avec sa perception de la réalité (les sons, le temps, l’espace). Il existe différents types de perception des mondes et il suffit de peu pour dépasser certaines barrières, comme ces palissades immaculées qui, en gros plan et en contre-plongée, créaient une étrange sensation de "claustration en plein air", connotant quelque chose de caché... à dévoiler : ces horribles scènes primitives qui se déroulent derrières des façades honorables.

 

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